Les vendanges 2020 en Vallée du Rhône : quand la précocité signe des grands vins

2020, restera sans nul doute une année bissextile atypique.

La saison démarre avec une certaine douceur, des journées approchant les 10 °C et nous faisant oublier l’hiver. D’ailleurs, les premiers effets de cette douceur déclenchent la floraison de nos enherbements sur les plaines de Crozes-Hermitage, apportant des couleurs éclatantes au paysage. Tandis que la taille avance dans les coteaux, mi-février, les amandiers se mettent à fleurir, avec une dizaine de jours d’avance. Les badigeons sont posés sur les plaies de taille pour protéger des maladies. Les premiers pleurs de la vigne débutent rapidement, annonçant son éveil. L’hiver est doux, marqué par un déficit hydrique pour cette période mais avec des réserves qui se sont constituées fin 2019 (plus de 500 mm cumulés).

Mi-mars, les bourgeons commencent à s’agiter et à sortir de leur coton. Tout va alors très vite. Fin mars, les premières feuilles s’étalent, le débourrement est précoce avec plus de 10 jours d’avance par rapport à l’année précédente… La vie reprend son activité dans les vignes avec l’apparition des premiers insectes, des premières fleurs et quelques mange-bourgeons qui se nourrissent sur les Bessards alors que le paysage citadin est au ralenti. Du côté du Domaine Les Granges de Mirabel, un tout autre décor nous attend le 26 mars au réveil, avec un tapis de neige, beau et surprenant.

L’absence d’hiver laisse craindre les gelées printanières et le 1er avril, nous n’échappons pas à une baisse de température à - 2 °C, qui vient brûler quelques jeunes feuilles et bourgeons sur les plaines de Beaumont Monteux. La métamorphose printanière du paysage s’amorce avec les coquelicots qui se mêlent aux pieds de vignes, colorant ainsi la colline. Tout comme sur le Domaine Les Granges de Mirabel, où l’intense luminosité d’avril et de mai accélère la croissance de la vigne. La diversité des espèces vivantes semées entre les rangs anime le paysage. Les ébourgeonnages sont à peine terminés qu’il faut accompagner la vigne entre les fils releveurs. La silice de corne (préparation 501) est une grande aide à ce moment précis.

Fin avril les inflorescences sont bien visibles de part et d’autre des appellations de la Vallée du Rhône Nord. Les rameaux s’élancent vers le ciel. Et enfin les premières pluies importantes arrivent, avec les premiers orages. Les précipitations du mois de mai (plus de 100 mm) combinées à la montée des températures donnent un coup d’accélérateur à la croissance du végétal. Les travaux en vert débutent, les premiers attachages et rapidement les deuxièmes, tandis que la floraison bat son plein sur l’Hermitage et les Saint-Joseph, sous un climat idéal. Sur Le Méal, les capuchons sautent déjà des baies nouvellement formées.

Rapport Vendanges Vallée du Rhône M. Chapoutier

Les calculs se font rapidement, il faut donc s’attendre à un millésime plus précoce que les années passées… Même sur les hauteurs de Saint-Péray à Payrolles, la vigne est en avance. Bien entendu, il faut s’adapter à la pandémie, apprendre les gestes barrières, réorganiser les équipes pour que tout se passe bien alors que le confinement est le mot d’ordre. C’est au rythme de la vigne que l’on doit s’adapter, déjà en avance. Un contraste saisissant.

Tandis que le mois de juin débute sans pression cryptogamique grâce à un climat estival et sec, dans la Vallée du Rhône Sud, les pluies sont les bienvenues avant d’attaquer l’été. Elles amènent quelques sorties de mildiou sur les fleurs dans le Gard mais épargnent le Vaucluse et notamment les Châteauneuf-du-Pape. Et les Grenache “accrochent” comme on dit, sans coulure, garants d’une belle récolte.

Les grappes continuent leur croissance durant ce mois de juin, mais quelques grêlons viennent tomber sur Combe Pilate, alors que les baies sont fragiles en cette période. C’est encore tôt dans la saison. Les plaies cicatrisent rapidement et laissent la compensation s’effectuer durant l’été. Un décompactage naturel finalement. Fin juin, sur Châteauneuf-du-Pape, les Grenache sont splendides et contrastent avec 2019 où les épisodes caniculaires avaient marqué le végétal par leur intensité. Et nous y voilà déjà, début de la véraison sur l’Hermitage la première semaine de juillet ! Et de manière étonnante elle débute sur tous les secteurs, du Pavillon aux Greffieux, effaçant les décalages habituels entre les piémonts, les coteaux et les expositions.

Mi-juillet, la grêle frappe sur Chasse-sur-Rhône, épargnant toutefois les Côte-Rôtie. Les tisanes cicatrisantes et l’eau tombée permettent assez rapidement aux feuilles de repartir. De façon globale, la véraison est retardée. Sur la Côte Brune (La Mordorée) la véraison débute aussi, marquant là une précocité remarquable. Mais il fait très chaud sur Ampuis, et les feuilles, par endroits, indiquent déjà les effets du déficit hydrique (à peine 320 mm depuis janvier).
Cette fin juillet, cela fait déjà plusieurs jours que les températures restent élevées, sans excès cependant comme en 2019, mais surtout sans pluie… Les jeunes vignes commencent à souffrir de ce manque d’eau, alors que les vieilles vignes aux racines profondes évoluent normalement. Une certitude, les vendanges débuteront tôt et l’on s’y prépare. Car il est nécessaire d’anticiper la gestion de la pandémie pour la période des vendanges : il faudra pouvoir vendanger au bon moment, aux bons équilibres. On envisage alors les différents scénarios pour ne pas manquer ce millésime.

Rapport Vendanges Vallée du Rhône M. CHAPOUTIER

Sur le Domaine Les Granges de Mirabel, sous le soleil caniculaire des dernières semaines de juillet et de la première semaine d’août, les pulvérisations d’infusion de camomille matricaire et d’ortie dioïque permettent aux grappes de Viognier de mûrir correctement, sans subir de stress hydrique.

Mi-août, la colline de l’Hermitage a changé. Elle surprend, marquée par endroits par des signes de stress hydrique. Les Marsanne ont déjà bien doré. C’est tôt, mais les baies semblent bien avancées. Les premières analyses confirment la dégustation. On appelle les équipes car il va falloir débuter plus tôt que prévu… et écourter les derniers jours de vacances. Les tours des parcelles s’enchaînent et cela se confirme un peu partout : nous sommes en train d’envisager un début de vendanges assez rapide, rappelant les dates de récolte de 2003. Quelques signes d’échaudage sur les Crozes-Hermitage. Et dans tous les esprits, on craint le pire si la pluie n’arrive pas…

Le 19 août, alors que le soleil vient projeter ses premiers rayons sur Chante-Alouette, un dernier brief sur les gestes barrières en haut du Méal et on lance le début de ces vendanges 2020, toutes particulières, avec Le Méal blanc. Les premiers jus sont prometteurs, l’acidité est préservée malgré les chaleurs, conséquence de l’absence de pluie et des températures qui ont concentré l’acidité au lieu de la brûler. La cueillette des blancs s’enchaîne avec le coteau de Saint-Joseph (Les Granits) puis le coteau des Murets (De L’Orée). Tout comme en 2015, L’Ermite blanc est en avance et nous allons chercher ses raisins sur le haut de la colline le 25 août. Le lendemain, les premiers rouges sont cueillis : Le Méal puis Les Greffieux et les premiers Saint-Joseph avec Le Clos et le coteau de Saint-Joseph. Tout s’enchaîne, avec de belles journées et des nuits qui commencent à se rafraîchir, ce qui contient la montée des degrés. Le 27 août, aussi exceptionnel qu’inquiétant au vu de l’avancement des dates de récolte, nous rentrons les premières Côte-Rôtie avec Neve. Nous allons à Condrieu chercher le Coteau de Chery, alors qu’une bonne partie des blancs est déjà rentrée pour préserver l’équilibre sucre/acidité.

Vendredi 28 août, une pluie arrive enfin et vient détendre les parcelles qui bloquaient. Les cueillettes de raisins rouges s’enchaînent pendant une quinzaine de jours. La Mordorée est rentrée dès le 3 septembre alors que nous débutons ce jour-là les premières Syrah à Châteauneuf-du-Pape, finalement pas si précoces. Le 4 septembre, c’est Le Pavillon qui est récolté avec des baies exceptionnelles, très noires, qui se dégustent à la perfection avec une maturité phénolique aboutie, soutenue par une belle acidité. Nous voilà impatients de déguster la cuve après le premier remontage et dans quelques semaines quand les vinifications seront passées par là. Le lendemain nous allons cueillir Varogne (Les Varonniers) qui a profité d’une belle fraîcheur à l’ombre de l’Hermitage. Il s’annonce là aussi prometteur. Mercredi 9 septembre, c’est L’Ermite qui descend de la colline.

Rapport Vendanges Vallée du Rhône M. CHAPOUTIER

Sur le Domaine Les Granges de Mirabel, les vendanges ne sont finalement pas si précoces et se déroulent les 5 et 6 septembre, affichant la belle qualité du raisin récolté. Les premiers jus dégustés sont frais, équilibrés et promettent un beau millésime pour le Viognier de Mirabel.

Au 10 septembre, voilà les vendanges déjà bien avancées… alors que certaines années elles commençaient à peine.
Les premiers Grenache de Châteauneuf-du-Pape entrent en cave, avec de beaux équilibres et un très joli fruit, ayant eu un millésime sans excès solaire. La saison aura été sereine et sans pression cryptogamique mais des pluies cévenoles sont annoncées dans le Sud. On renforce les équipes pour accélérer la récolte et rentrer Croix de Bois et Barbe Rac juste avant les pluies afin de préserver leur potentiel.

Les vendanges se terminent le 18 septembre avec les Cornas de Saint-Pierre en Vallée du Rhône Nord. Nous devrons faire preuve de patience pour attendre les dernières parcelles de Châteauneuf-du-Pape qui sont cueillies le 26 septembre. Nous voilà témoins d’une belle inversion climatique sur ce millésime 2020 !

Marqué par une précocité exceptionnelle et un coeur d’été caniculaire, le millésime 2020 nous offre des vins remplis d’élégance et de race, bien loin des excès auxquels nous aurions pu nous attendre. Ils présentent tous les marqueurs d’un grand potentiel de garde par la préservation des acidités et un aboutissement remarquable des maturités phénoliques. L’élégance sur les vins rouge et l’expression de la minéralité soutenue par une belle acidité sur les blancs signent donc ce millésime de pureté, à la fois particulier et étonnant.


Nos coups de coeur

Ermitage Le Pavillon rouge
Présentant une robe d’un noir profond, le Pavillon exprime au premier nez des notes intenses de graphite et de coulis de fruits sauvages. Il prend ensuite son envol vers des notes de violette, d’épices nobles et de pierre chaude. La bouche est rectiligne, les tanins drapés d’une noblesse rare. La finale est sapide et la persistance incroyable sur des notes de poivre noir et de fumée froide.

Ermitage De l’Orée blanc
Paré d’une robe or clair aux reflets anisés, De l’Orée nous offre au premier nez de fines notes de fruits jaunes et de chèvrefeuille. À l’agitation, le bouquet se fait plus empyreumatique, avec des touches de maïs grillé, de caramel au beurre salé et d’épices douces. La bouche finement texturée est ample et tonique à la fois, laissant la place à une finale salivante aux nuances délicatement anisées.

Rapport Vendanges Vallée du Rhône M. CHAPOUTIER

Commentaires de dégustation des vins

Croix de Bois rouge : nez envoûtant de framboise écrasée et de zeste d’orange. La fraîcheur préservée nous offre une bouche délicate, finement drapée, avec une touche d’eau de rose.

Barbe Rac rouge : racé, épicé, aux notes de fruits noirs mûrs, une touche de laurier. En attaque des tanins toniques, sur la finale une pointe de cacao, puis le graphite, l’olive noire. La finale persistante et acidulée donne une belle nuance à sa carrure d’athlète.

La Mordorée rouge : nez intense où dominent les fruits noirs et le bacon. Bouche fraîche et délicate aux tanins soyeux. Bouquet complexe d’épices, de musc, d’olive et de violette. Finale longue et sapide.

Côte-Rôtie Neve rouge : explosion de coulis de fruits noirs, feuille de ronce et poivre noir témoignent d’une superbe fraîcheur aromatique. L’attaque est juteuse, la bouche dense, ciselée et salivante. Finale persistante sur la myrtille, et des notes florales de bleuet. Un des “outstanding” du millésime.

Le Clos rouge : nez de grande expression aux notes de myrtille, de graphite et de bitume. L’attaque en bouche est puissante, les tanins d’une grande noblesse. Finale complexe aux nuances d’épices douces.

Les Granits rouge : nez au fruit intense, la violette, le poivre noir et une pointe empyreumatique en font un vin d’ores et déjà éclatant. La bouche encore serrée est à la fois dense et élégante. La finale se pare de nuances épicées et corsées.

Les Varonniers rouge : les fruits mûrs et juteux s’associent à la race de ce grand terroir et ses nuances plus viandées. Tapenade, graphite et notes fumées viennent compléter un bouquet de grande envergure. En bouche, les tanins sont doux et tapissants, la finale salivante.

Les Greffieux rouge : jolis fruits mûrs, une touche de myrtille soulignée par des notes de moka. Attaque d’une belle ampleur avec des tanins rafraîchissants sur la finale. Une remarquable synthèse de concentration et de fraîcheur.

Le Méal rouge : nez profond aux senteurs de coulis de mûre, d’épices, légèrement fumé. Attaque ample, tanins crémeux, mais bouche salivante. Un modèle d’équilibre.

L’Ermite rouge : nez floral, feuille de ronce, graphite, petits fruits rouges, la liste serait interminable. Vin vertical, bouche sapide et ciselée. Allonge exceptionnelle sur des notes de pivoine et de fumée froide.

Le Pavillon rouge : présentant une robe noire profonde, Le Pavillon exprime au premier nez des notes intenses de graphite et de coulis de fruits sauvages. Il prend ensuite son envol vers des notes de violette, d’épices nobles et de pierre chaude. La bouche est rectiligne, les tanins drapés d’une noblesse rare. La finale est sapide et la persistance incroyable sur des notes de poivre noir et de fumée froide.

Les Granits blanc : premier nez de cailloux frappés et pointe d’allumette, fruits à chair jaune, légèrement rôtis. L’attaque veloutée introduit une bouche sapide et digeste. Une version épurée du cru au grand potentiel.

De l’Orée blanc : paré d’une robe or clair aux reflets anisés, De l’Orée nous offre au premier nez de fines notes de fruits jaunes et de chèvrefeuille. À l’agitation le bouquet se fait plus empyreumatique, avec des touches de maïs grillé, de caramel au beurre salé et d’épices douces. La bouche finement texturée est ample et tonique à la fois, laissant la place à une finale salivante aux nuances délicatement anisées.

Le Méal blanc : nez explosif de coing frais et de fleur blanche. À l’agitation ressortent les typiques notes de fumée et de feuille de tomate. Bouche crémeuse mais digeste et minérale. Finale persistante sur les épices douces et la pâte de fruits.

L’Ermite blanc : nez encore timide, d’où percent des notes de chèvrefeuille et de zeste de citron. À l’aération, les notes grillées et pierreuses envahissent le verre. La bouche est épurée.